Publié le 13/01/2023
Thomas Vacheron, dirigeant de la CGT chargé du dossier des retraites avec Catherine Perret, espère faire reculer le pouvoir en opposant un front syndical uni à sa contre-réforme. Pour lui, d’autres sources de financement, que l’exécutif se refuse à explorer, sont possibles.
« Pour nous, la priorité c'est d'augmenter les salaires, pas de reculer l'âge de départ en retraite »
Comment se déroulent les discussions sur les retraites avec le gouvernement ?
THOMAS VACHERON Il s’agit de concertations, et non de négociations au cours desquelles les organisations syndicales et patronales confronteraient leurs propositions en vue de parvenir ou non à un accord. Le gouvernement fait mine d’écouter sans rien changer de son projet. Avec comme objectif de présenter un projet de loi à la mi-janvier 2023, pour une mise en œuvre de sa contre-réforme à l’été. Laquelle prévoit de repousser l’âge de départ à la retraite dès la génération 1961. Au final, il y a eu trois réunions bilatérales sur « l’emploi des seniors et l’usure professionnelle », « l’équité et le minimum de pension » et « l’équilibre financier du système ». En termes de « concertation » on peut mieux faire car, en plus d’être dans la continuité des annonces de la Première ministre dans la presse, la réunion « conclusive » précédait la dernière bilatérale… Nous avons donc décidé de ne pas y aller.
Pourquoi la CGT n’a pas participé à la première ?
THOMAS VACHERON La CGT, qui ne pratique pas la politique de la chaise vide, a boycotté la première réunion de concertation qui s’est déroulée lors des mobilisations sur les salaires et des scandaleuses réquisitions opérées dans les raffineries. Pour nous, la priorité, c’est d’augmenter les salaires, pas l’âge de la retraite. Plus de salaires, c’est plus de cotisations retraites. De fait, les fins de mois sont intenables, les fins de carrière sont insupportables pour bon nombre de salariés. Un actif sur deux n’est plus au travail à 60 ans. Les employeurs se débrouillent pour faire partir des salariés avant, à travers notamment des ruptures conventionnelles ou des licenciements. Dans le textile, par exemple, 70 % des salariés ne sont plus en emploi à 60 ans. Soit ils ont été licenciés, soit ils sont en arrêt maladie ou en inaptitude, car en incapacité de travailler. Le fait de repousser l’âge légal de départ à la retraite ne va en rien améliorer l’emploi des seniors, comme le prétend le gouvernement. En revanche, cela va mécaniquement diminuer le montant des pensions et accroître la paupérisation des 58-62 ans qui basculent sur le RSA ou au chômage.
Il est envisagé de nouvelles utilisations du compte pénibilité pour faciliter les départs des personnes abîmées par le travail, sans trop s’avancer. Qu’en pensez-vous ?
THOMAS VACHERON Je fais remarquer que le gouvernement ne parle pas de pénibilité mais d’« usure professionnelle », comme le Medef. Comme si l’usure professionnelle était une fatalité qui permet au patronat de se dédouaner de ses responsabilités. Les régimes spéciaux, menacés de suppression, permettent justement de prendre en compte la pénibilité de certains métiers. De nombreux salariés sont aujourd’hui exposés. Par exemple, près de 2,7 millions sont exposés à un ou plusieurs agents chimiques cancérigènes, près de 10,7 millions à des contraintes physiques marquées. Au-delà de la prévention, la CGT revendique qu’une réparation sur l’exposition à la pénibilité soit déterminée à partir de la réalité des conditions de travail spécifiques à chaque métier, et sans des seuils inaccessibles à la quasi-totalité des travailleurs. Nous proposons aussi de travailler un trimestre de moins par année d’exposition, avec un maximum plafonné à cinq années.
Comment jugez-vous la promesse de l’État de porter à plus de 1 200 euros le montant minimum de la retraite ?
THOMAS VACHERON D’après les pouvoirs publics, 1,4 million de salariés seraient concernés. Ce devrait être six millions, puisque c’est le nombre de retraités qui touchent une retraite inférieure à 1 200 euros net. Ce différentiel s’explique par le fait que la mesure ne s’appliquerait qu’aux carrières complètes. Les carrières hachées devront se contenter de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’Aspa, autrement dénommée « minimum vieillesse », qui est actuellement de 953 euros. Rappelons aussi que, depuis 2003, la loi prévoit que la retraite minimum s’établisse à au moins 85 % du Smic, soit le montant envisagé par le gouvernement, mais cela n’a jamais été appliqué. La CGT, elle, revendique qu’aucune pension ne soit inférieure au Smic pour une carrière complète, ce qui est le cas aujourd’hui pour des millions de retraités. Lorsqu’on est actif, on ne peut pas être payé en dessous du Smic, comment cela devient-il possible lorsqu’on arrive à la retraite ? Plutôt que d’écouter les plans de communication gouvernementaux, les salariés et les retraités attendent des actes concrets !
Élisabeth Borne dramatise la situation en évoquant un déficit du régime de 12 milliards d’euros en 2027. Pourquoi les syndicats unanimement opposés au projet à venir réfutent-ils cet argument ?
THOMAS VACHERON Il n’y a pas de problème de financement à court et moyen termes selon toutes les projections existantes du Conseil d’orientation des retraites. Surtout, d’autres sources de financement sont possibles. Je rappelle qu’il y a 157 milliards d’euros d’exonérations de cotisations, sans contrôle, ni contreparties. Des entreprises crachent des profits par milliards. Pourquoi ne pas vouloir les taxer ? L’égalité de salaires entre les hommes et les femmes rapporterait 6 milliards d’euros de plus de cotisations vieillesse. L’économiste Michaël Zemmour rappelle aussi qu’il suffirait, en prenant un salaire moyen de 3 000 euros brut, par exemple, d’augmenter les cotisations patronales de 2,50 euros et celles salariales de 2 euros par mois pour revenir à l’équilibre.
Comment se profilent les semaines qui viennent ?
THOMAS VACHERON Nous pouvons faire reculer le gouvernement, car son projet est injuste, pas nécessaire et tous les salariés comme les retraités seraient perdants ! Pour la première fois depuis treize ans, toutes les organisations syndicales de salariés et d’étudiants se disent prêtes à la mobilisation si Emmanuel Macron s’acharne dans son funeste projet. Si la mobilisation du plus grand nombre est la solution, l’unité syndicale est une des conditions pour gagner. Dans leur communiqué intersyndical, les organisations soulignent que « le système par répartition n’est pas en danger, y compris pour les jeunes générations ». Et « réaffirment qu’elles sont, comme la très grande majorité de la population, opposées à tout recul de l’âge légal de départ en retraite comme à toute augmentation de la durée de cotisation ».
Entretien réalisé par Sarah Delattre
► Source : Article paru dans La vie ouvrière #04 (janvier 2023) : https://boutique.nvo.fr/common/product-article/288
Crédit photo : Bapoushoo
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