Comment le patronat et le gouvernement ont réussi à bloquer puis tasser les salaires ?

Publié le 30/04/2024

Leur choix de la « smicardisation »

Avec 1 million de plus en 2 ans, ce sont désormais plus de 3 millions de travailleurs qui se retrouvent au SMIC - plus encore avec les agents de la fonction publique. C’est près d’1 salarié sur 5, un triste record. Et quasi 60% des salarié·es payé·es au SMIC sont des femmes. De plus en plus de salarié·es avoisinent le SMIC, avec des salaires déjà bas qui se font rattraper par le minimum légal.

C’est ce que le gouvernement appelle la « smicardisation », dont une de ses « solutions » pourrait être, par exemple, la remise en cause de l’indexation automatique du SMIC sur l’inflation. Autrement dit, traiter le problème en effaçant le symptôme, la smicardisation, plutôt que de s’attaquer à la cause, l’absence d’augmentation des salaires.

Indexer tous les salaires sur les prix pour ne pas perdre en niveau de vie

Quand les prix augmentent, le SMIC est revalorisé à la hauteur de l’inflation (lorsque celle-ci est au-dessus de 2%, le SMIC est revalorisé immédiatement, et si elle est en-dessous la correction se fait au 1er janvier de l’année suivante). C’est ce qu’impose le code du travail et qu’on appelle « l’indexation ». Ce n’est pas « du plus », c’est simplement éviter d’avoir « du moins ».

Pour rappel, le dernier « coup de pouce » du SMIC, c'est-à-dire une augmentation au-delà de cette indexation automatique, remonte à plus de dix ans, en 2012. Alors même que le SMIC en France est bas, c’est seulement le 6ème d’Europe, et ne permet pas de vivre. C’est pourquoi la CGT propose de l’augmenter de 1766€ brut actuellement à 2000 € brut mensuel.

Loin d’être un problème, l’indexation du SMIC sur les prix constitue en fait le dernier rempart de protection minimale pour, simplement, maintenir le niveau de vie de celles et ceux qui sont au salaire minimum.

Les salaires au-dessus du SMIC ne sont, eux, pas indexés sur l’inflation. Les organisations syndicales se retrouvent à batailler dans les négociations de branches professionnelles comme d’entreprise pour « gagner » la revalorisation des salaires à hauteur de l’inflation, c’est-à-dire simplement ne pas perdre en niveau de vie. Ce que refusent le plus souvent les organisations patronales. Résultat : un tassement des grilles et une diminution des salaires réels. Comparé à la hausse des prix, les salaires ont diminué en valeur de 5% depuis 3 ans. L’écart entre le SMIC (1398 € net par mois) et le salaire médian (2200 € net par mois soit 1,6 fois le SMIC net) qui n’a jamais été aussi resserré. La situation est grave avec plus de 10 millions de salarié·es en dessous du salaire médian, et c’est en fait l’ensemble des salaires qui sont tassés.

Pire, plus de 50 branches professionnelles sont concernées par des grilles de salaires minimas en-dessous du SMIC, ce qui participe à tirer les salaires vers le bas (59 branches sur les 172 de plus de 5000 salarié·es, à la fin avril, et non 12 branches sur lesquelles le Gouvernement communique parmi « 60 qu’il considère en vigilance »).

Ainsi, le problème ce n’est pas que le SMIC soit indexé sur les prix, mais que tous les salaires ne le sont pas. En effet, indexer l’ensemble des salaires sur le SMIC et sur l’inflation permettrait de ne pas perdre en niveau de vie, maintenir les écarts de salaires et faire retrouver aux négociations de branche et d’entreprise leur raison d’être : augmenter réellement les salaires. Comme en France jusqu’en 1983 ou en Belgique aujourd’hui (pays où la croissance est supérieure, l’inflation inférieure), l’indexation des salaires sur les prix n’amplifierait pas l’inflation (nourrie par l’augmentation des profits) mais empêcherait bien la « smicardisation ».

Remettre à plat les aides publiques aux entreprises pour briser la trappe à bas salaires

En plus de vouloir augmenter leurs profits, les directions d’entreprise ont intérêt à maintenir les bas salaires : plus ils payent mal les salarié·s, plus les aides publiques pour leurs entreprises privées sont importantes

Force est de constater que, à côté de la « smicardisation » des travailleur·euses, jamais les entreprises n’ont versé autant de dividendes aux actionnaires, au-delà même des records du CAC 40. La finance est de plus en plus prédatrice. C’est notamment la sous-traitance en cascade qui amène la maltraitance des salarié·es et permet de concentrer les bénéfices sur les grands groupes « grâce » au moins disant social. Les profits grimpent, les salarié·es trinquent.

La politique des exonérations de cotisations sociales participe à cette situation. En effet, plus les salaires sont bas et proches du SMIC, plus les aides publiques versées aux entreprises, sous forme d’exonérations de cotisations sociales, sont hautes. On marche sur la tête : les exonérations de cotisations se retrouvent indexées sur le SMIC… alors que les salaires ne le sont pas !

Les entreprises ont donc encore moins intérêt à augmenter les salaires car elles perdent des exonérations. Avec la désorganisation de l’économie en système de sous-traitance et de sur-spécialisation dans certains types d’emplois, où les salaires sont toujours plus bas que chez le donneur d’ordre et donc les exonérations toujours plus hautes, ce mécanisme permet aux grands groupes d’accaparer toujours plus de plus-value. Maintenir des faibles salaires devient doublement bénéfique pour les directions d’entreprise, et même triplement pour les donneurs d’ordre.

On assiste à un explosion des exonérations de cotisations, qui diminuent notre salaire brut et affaiblissent notre système de protection sociale (qui conditionne et finance nos droits à des revenus de remplacement en cas d’arrêt maladie, de licenciement ou pour nos retraites…).

Aujourd’hui, c’est près de 80 milliards d’euros de perte pour les comptes de l'État du fait des mécanismes de compensation, portés principalement par celles et ceux qui ont le moins puisque la moitié des ressources de l’État proviennent de l’impôt le plus injuste qu’est la TVA (impôt dit indirect sur tous les achats que chacun paye autant que les plus fortunés).

Il faut stopper au plus vite cette gabegie d’argent public donné aux entreprises privées qui pousse à maintenir tous les salaires vers le bas et n’a pas effet sur l’emploi

Tous les économistes conséquents conviennent que donner des exonérations de cotisations au-dessus de 1,6 SMIC (soit au-dessus de 2200 € net, c’est-à-dire 2800€ brut) n’a pas d’effet sur l’emploi. La CGT revendique ainsi de supprimer immédiatement les aides coûteuses et inutiles. Sur les près de 80 milliards d’euros annuels de ce type d’aides publiques, cela représenterait une économie automatique de plus de 15 milliards sur le budget de l’État chaque année, qui pourraient être utilisés utilement dans l’intérêt de la population (comme améliorer nos services publics par exemple).

Pour sortir les entreprises de l’addiction aux aides entre 1 et 1,6 fois le SMIC, la CGT propose de « désindexer » les exonérations sur le SMIC, car avec le tassement des salaires vers le SMIC, cela provoque mécaniquement des dérives avec d’énormes effets d’aubaine. Il est urgent de mettre un coup d’arrêt à cette situation qui tire tous les salaires vers le bas, faisant pression y compris sur les travailleur·euses des pays européens voisins.

En transformant les exonérations en valeur nominale, c’est-à-dire en euro, cela permettrait chaque année, de manière simple, qu’il y ait enfin de la transparence sur les sommes distribuées puis du contrôle pour vérifier collectivement et démocratiquement leur efficacité sur l’emploi. En bref, un moyen concret de stopper cette course folle de toujours plus d’aides publiques sans contrôle ni contrepartie aux entreprises privées.

Plutôt que des primes, augmenter les salaires !

Plutôt qu’augmenter nos salaires, la « solution » des primes occasionnelles non cotisées ?

Aux augmentations de salaires, les employeurs préfèrent céder, quand ils y sont contraints, des primes occasionnelles et non cotisées comme celle de partage de la valeur (la « PPV »). On est content sur le moment mais c’est comme des « pourboires » puisqu’elles ne comptent ni pour le chômage, ni pour la maladie, ni pour la retraite.

À travers ces primes qui se substituent aux augmentations, nos salaires sont maintenus bas, ce qui permet aux entreprises de percevoir toujours plus d’exonérations de cotisations.

Même le gouvernement reconnait que l’on ne peut pas vivre avec le SMIC actuel et les bas salaires puisqu’il compense avec la prime d’activité les revenus de celles et ceux qui travaillent

A la suite de la mobilisation des Gilets jaunes, en même temps que la création de la prime « Macron » (devenue PPV), la prime d’activité a été revalorisée pour atténuer la colère populaire. Pour un parent isolé, le cumul de la prime d’activité avec le SMIC actuel permet d’atteindre l’équivalent de celui revendiqué par la CGT de 1560 € net ou 2000 € brut par mois…

Si elle permet de survivre au mois le mois, cette prime n’est, comme les autres primes, pas du salaire. Pire, elle constitue en fait une aide publique supplémentaire aux entreprises versée au travers du salarié, pour pallier les trop faibles salaires octroyés par les patrons et que l’État se retrouve à compenser. C’est encore 12 milliards d’euros distribués chaque année.

Selon le Gouvernement pour augmenter de 100 € le salaire net, il faudrait le revaloriser de 483 € ? C’est ce qu’a affirmé le 1er Ministre pour tenter de justifier la difficulté à augmenter les salaires. Or cet élément de communication, très repris dans les médias, est doublement biaisé et trompeur. Il mélange d’une part volontairement salaire (la fiche de paie) et revenus (les aides ou allocations liées à des droits : au logement, aux enfants, à la prime d’activité…), en cherchant à calculer de combien revaloriser le salaire pour que les revenus du salarié augmentent de 100€.

Il intègre d’autre part les exonérations de cotisations sociales dont se retrouverait privé l’employeur. Et pour arriver à 483€, le Gouvernement prend l’exemple d’un parent célibataire isolé, au SMIC, avec des enfants, c'est-à-dire d’un·e salarié·e non seulement concerné·e par la prime d’activité et des allocations sociales spécifiques mais aussi par un salaire le plus touché par les exonérations de cotisations. Ce sont les effets cumulés de ces exonérations mis en place par les différents gouvernements et de la prime d’activité qui conduisent, dans cet exemple, à cette annonce exorbitante.

Contrairement aux 483€ annoncés, et pour tous les salaires entre 1 fois et 1,6 fois le SMIC, augmenter de 100 € le salaire net revient à moins de 240 € brut pour l’entreprise (c’est aussi ce que nous expliquons dans la contribution CGT pour la mission confiée par l’ancienne 1ère ministre à messieurs Bozio et Wasmer).

En fait, cet exemple est surtout révélateur que, pour un salarié au SMIC, toutes les entreprises sont aujourd’hui subventionnées de près 700 € par mois par l’État, voire près de 1000 € mensuels si l’on ajoute la prime d’activité ! C’est le scandale dont personne ne parle.

Les primes d’aujourd’hui, c’est la déprime de demain… alors que le salaire c’est le bonheur pour toute la vie !

Le salaire net (après les cotisations sociales, en bas de la fiche de paie) sert pour tout le mois, pour régler loyer, nourriture, transports, loisirs… Le salaire brut (socialisé, en haut de la fiche de paie, et que le gouvernement veut justement effacer pour mieux l’attaquer) sert pour toute la vie, pour les moments difficiles (maladie, chômage) comme pour les plus joyeux (congé maternité, paternité, retraite).

À l’absence d’augmentation du salaire minimum, les grèves de 1968 avaient débouché sur sa revalorisation de 30 % et la suppression des abattements de zones qui permettaient de rémunérer moins en province qu’à Paris. L’urgence c’est que les salarié·es puissent enfin vivre de leur travail, le net pour le mois et le brut pour les aléas ou les bonheurs de la vie. Dans un pays où plus de 50% du PIB sont liés à la consommation, augmenter les salaires c’est aussi relancer l’économie.

Thomas VACHERON (@ThomasVacheron_) · X Twitter

Synthèse de la contribution CGT "Pour que tous les salarié·es puissent vivre de leur travail" → à lire et télécharger ici


Source  : Journal du THCB avril 2024

Presse (Médiapart) : Leur choix de la « smicardisation »


A consulter également :

Display PDF: