Extrait du rapport d'ouverture au 11e congrès de la fédération THCB à balaruc les bains

Cher(e)s Ami(e)s, Cher(e)s Camarades,

Depuis notre dernier congrès à Bourgoin Jallieu, il y a quatre ans, les réformes se sont multipliées, les tensions sociales aussi. Mais si chacun d’entre nous peut sans doute faire valoir une victoire syndicale dans une entreprise, un territoire, voire une profession, nous n’avons pas été en capacité d’infléchir les grandes réformes d’inspiration libérales qui ont impacté négativement la vie des salariés. Je pense, entre autres, aux lois, El Khomri et ordonnances Macron, sur l’évolution du marché du travail, qui ont modifié profondément la construction du droit et la norme sociale au niveau de l’entreprise. Ces échecs nourrissent de sérieux doutes sur l’efficacité de l’action syndicale.

Pourquoi cette inertie chez les salariés, les retraités, les chômeurs ? Pourquoi cette chape de plomb sur nos têtes ?

Pourtant, depuis trois ans, la CGT, comme d’autres organisations syndicales, a durci le ton et appelé des dizaines de fois à fouler le pavé de nos grandes villes, à bloquer l’économie et à débrayer en masse ! Alors, pourquoi cette inertie chez les salariés, les retraités, les chômeurs ? Pourquoi cette chape de plomb sur nos têtes ? Notre congrès fédéral est le lieu où nous devons échanger collectivement sur nos forces, mais aussi sur nos défaillances. Nous devons être capable de débattre sans tomber dans la sinistrose, mais avec l’objectif au contraire d’identifier et de proposer ensemble des solutions. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour réussir : la revendication doit être claire et précise pour être validée par les salariés ; elle doit être crédible pour favoriser l’adhésion et l’engagement ; enfin l’unité syndicale est une question incontournable pour instaurer le rapport de force qui conduira à la victoire. Quelles sont les difficultés auxquelles nous nous heurtons aujourd’hui ? Sans prétendre à l’exhaustivité, je propose de mettre trois problématiques en débat.

La première renvoie aux difficultés que nous rencontrons pour expliquer le sens des réformes aux salariés. Ils se mobilisent mieux s’ils sont convaincus qu’il est possible de faire autrement, mais nos propositions alternatives sont trop souvent inaudibles. La complexité croissante des textes ne nous facilite pas la tâche. Finie la réforme des retraites qui reporte l’âge de départ, la convention d’assurance chômage qui réduit la durée d’indemnisation ou encore la réforme du travail qui prescrit la fin du CDI. Les patrons et les gouvernements ont compris qu’il était plus facile d’atteindre ces objectifs en divisant les salariés entre eux.

L’unité est un combat ! Vous la réalisez le plus souvent dans vos entreprises, les salariés la réclament car c’est une condition du succès.

La seconde problématique est celle l’unité syndicale. Les divisions syndicales se sont accentuées.
La CFDT, principalement sa direction nationale, s’est enfermée dans un syndicalisme d’accompagnement des réformes pourvu qu’elle soit l’interlocutrice privilégiée du politique ou du patronat. Cela lui a souvent réussi, sauf qu’aujourd’hui, le président Macron semble renvoyer la CFDT dans ses filets et s’en servir seulement pour déminer le terrain sur les réformes compliquées, comme celle de la SNCF. Force Ouvrière a, quant à elle, développé une démarche incompréhensible. Elle a été capable d’apposer sa signature sur des textes réduisant le montant des indemnités des chômeurs âgés, puis de se lancer dans une démarche contestataire en exigeant le retrait de la loi El Khomri, pour enfin apporter sa caution aux ordonnances Macron ! Je ne m’attarderais pas sur la CFTC, ni la CGC qui, dans la dernière période, sont plus sur une démarche existentielle que syndicale. Quant à la CGT, les crises successives de 2013 et 2014, à savoir la succession de Bernard Thibault et des « affaires » de Thierry Lepaon, ont poussé Philippe Martinez à ressouder l’organisation lors du congrès confédéral de Marseille, sur une ligne plus contestataire, voire identitaire.

Les grèves à répétition, l’absence de perspective et de résultat, ont épuisé nombre de militants, qui se sont retranchés vers leurs entreprises ou des enjeux plus professionnels qu’interprofessionnels. S’est ajoutée la perte d’influence de notre organisation, qui a dû céder à la CFDT sa première place dans les entreprises du privé. La CGT se retrouve donc isolée et affaiblie et n’est plus en capacité de jouer le rôle de leadership du syndicalisme comme auparavant. Les directions syndicales nationales sont devenues inaudibles auprès des salariés. Nous ne gagnerons pas si nous n’avons pas la volonté de trouver ensemble un chemin revendicatif commun avec les autres organisations, à commencer par la CFDT et FO. Pour peser, nous sommes obligés d’adopter une stratégie unitaire. Disant cela, je n’ai pas le sentiment d’abandonner le moins du monde mes convictions. J’ai surtout la volonté d’avancer dans l’intérêt des salariés ! Nous savons que l’unité syndicale ne peut se faire autour de la seule CGT et sans respecter l’identité de chacun. Le concept du syndicalisme rassemblé, initié par Louis Viannet et poursuivi par Bernard Thibault, est toujours d’actualité. Plutôt que de le faire siffler comme au congrès de Marseille, il est urgent de l’adapter aux conditions d’aujourd’hui. L’unité est un combat ! Vous la réalisez le plus souvent dans vos entreprises, les salariés la réclament car c’est une condition du succès.

Notre indépendance syndicale constitue la meilleure garantie pour tous ceux que nous défendons

La dernière problématique concerne notre projet revendicatif commun et le rôle et la place du syndicat. La CGT est parfois davantage tournée vers le terrain politique plutôt que syndical, ou engagée dans une démarche plus critique que constructive. A quoi sert- il, de battre le pavé drapeau CGT en main le 5 mai dernier pour faire la « fête à Macron » ? Quel est le message revendicatif adressé aux salariés, si ce n’est celui qui conduit à brouiller les frontières entre objectifs politiques et syndicaux ? La journée du 26 mai organisée autour du mot d’ordre « Marée populaire » a-t-elle vraiment permis le rassemblement des salariés autour de leurs revendications ? Ce genre de manifestation ne menace-t-il pas d’hypothéquer nos capacités de rassemblement en écartant celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’offre politique au côté de laquelle nous défilons ?

L’histoire nous a enseigné que nous n’avions rien à gagner et beaucoup à perdre à cultiver la confusion entre acteurs politiques et syndicaux. Cela ne veut pas dire qu’un militant de la CGT n’a pas le droit d’avoir des convictions politiques, bien évidemment. Mais il ne doit pas les exprimer avec le drapeau CGT en main. Nous sommes une organisation syndicale ouverte à tous les salariés, actifs ou privés d’emploi, retraités, quel que leur statut social et professionnel, leur nationalité, leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses, c’est l’article premier des statuts de la CGT. Nous défendons jalousement notre indépendance syndicale, qui constitue aussi la meilleure garantie pour tous ceux que nous défendons. Le syndicalisme aura encore de nombreux défis à relever. Emmanuel Macron, est décidé à démanteler notre modèle social. Notre système de retraite par répartition, notre sécurité sociale, nos services publics risquent d’être bousculés, voire dynamités par une politique ultra libérale.

Quand la CGT est présente dans l’entreprise, les salariés lui font massivement confiance.

Venons-en maintenant à nos champs professionnels : la première bonne nouvelle, c’est que la CGT THCB est de loin, en 2017 la première organisation syndicale avec 27,6 %, la seconde étant la CFTC avec 26,8%, suivie de la CFDT avec 24,9 %. La position surprenante de la CFTC s’explique uniquement par le comportement frauduleux du groupe Elis où cette organisation syndicale représente, à elle seule, plus de 98 % des voix dans toutes les entreprises du groupe qui compte 25 000 salariés en France. Cherchez l’erreur !! L’autre bonne nouvelle, c’est que les salariés dans nos secteurs votent massivement, quand ils en ont l’occasion, à hauteur de 73%. Nos champs professionnels comptent 190 000 salariés, mais seulement 75 000 sont inscrits sur une liste électorale. La majorité des salariés dans nos secteurs n’ont donc pas la chance d’avoir un syndicat dans leur entreprise, qui est le plus souvent une TPE. La CGT est implantée dans 45 % des entreprises où il existe un collège électoral. Quand la CGT est présente dans l’entreprise, les salariés lui font massivement confiance. Mais on mesure aussi notre manque à gagner dans les entreprises où nous sommes absents, et l’impérieuse nécessité de travailler pour nous y implanter en créant de nouvelles bases ! En termes de représentativité, la CGT « pèse » 28,46 % dans le textile, plus de 54 % dans les TAS, 39,73 % dans l’habillement, 34,36 % dans la maroquinerie, 20 % dans les blanchisseries malgré les magouilles d’Elis, 53 % dans les cuirs et peaux, 39 % dans la couture parisienne et 26 % dans les cordonneries. Cela nous confère de grandes responsabilités pour négocier les accords et avenants conventionnels. Là aussi, nous avons besoin de renforcer nos équipes. Avec la loi Macron, de nombreux patrons voudront donc discuter, à partir de 2019, des contrats de chantier, du CDD, du forfait jours, voire du conseil d’entreprise en lieu et place des CSE en l’absence d’implantation syndicale dans l’entreprise. Sur la loi Macron, les premiers accords CSE s’avèrent être plus une machine à broyer les droits syndicaux et à réduire le dialogue social, que l’inverse.

Nos secteurs se portent mieux. Le textile en France recrute, mais peine à trouver de la main-d'oeuvre formée et qualifiée

Examinons maintenant l’emploi. Globalement, nos secteurs se portent mieux. Pour la première fois depuis plus de trente ans, le textile en France recrute, mais ironie du sort, peine à trouver de la main d’oeuvre formée et qualifiée. C’est particulièrement visible dans le secteur de la maroquinerie où des usines se créent. Le secteur des blanchisseries s’est aussi repositionné autour de grands groupes que sont Elis, Rentokil et RLD rebaptisé Kalhyge. Seul l’habillement est à la traîne. Nous aborderons plus largement l’évolution de l’activité dans nos secteurs avec nos experts, demain matin. Mais, je vous rassure, nos syndicats n’ont pas été que spectateurs dans le repositionnement, le développement ou l’investissement de certains groupes.

Des luttes victorieuses témoignent de notre capacité à nous battre et à faire des propositions.

Chez Porcher par exemple, la vente du groupe au fonds Warvik a fait l’objet au préalable de nombreuses réunions, avec les acteurs du dossier, le syndicat CGT et la fédération. Nous avons exigé le maintien de tous les sites et des emplois, des accords et usages en vigueur dans les entreprises, la garantie d’investissements importants en France. Vingt-quatre mois plus tard, le groupe est en développement et Porcher achète à tour de bras de nouveaux métiers à tisser à Badinières et à la Tour du Pin. Warvik a même racheté Cordetech, ex-Miliken en Ardèche l’année dernière. Enfin, lors de notre dernier congrès, je vous faisais part de la difficile bagarre syndicale et juridique, que les 180 salariés de l’habillement, le syndicat CGT et notre fédération menaient contre le ministère des armées concernant les fermetures en cours des Ateliers de Maîtres Tailleurs à l’arsenal de Toulon et de Brest. Nous avons obtenu que le tribunal administratif, puis le conseil d’état, reconnaissent le statut public et non privé des salariés, alors que l’arsenal prétendait le contraire ! Cette victoire juridique a interdit le licenciement des 180 salariés et l’Armée a même été contrainte de leur retrouver un emploi au sein de leur base navale. Ces luttes victorieuses témoignent de notre capacité à nous battre et à faire des propositions. Au chapitre du pouvoir d’achat toujours, comment la fédération pourrait- elle ne pas se satisfaire des succès juridiques enregistrés sur les licenciements économiques ? Au total, plus de 10 000 salariés de nos secteurs, au cours de la dernière décennie ont pu voir leur licenciement économique requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un mot sur nos branches. Sous la contrainte, la loi El Khomri a imposé aux patronats et aux organisations syndicales de soumettre à la direction générale du travail, des propositions de rapprochement de secteurs professionnels pour toutes les branches en-dessous de 5 000 salariés avant décembre 2018. Notre fédération a proposé de se rapprocher autour de filières, en regroupant, sous la fédération la plus importante, les petites dans des annexes spécifiques, ce qui garantira le maintien des conventions collectives de chacun.

Une nouvelle génération de dirigeants est maintenant en place

Évoquons maintenant la situation de notre fédération. Celle-ci compte environ 4 000 adhérents pour un peu moins de 200 000 salariés. La CGT est absente dans 55 % des entreprises de nos secteurs. Chaque fois que nous créons une nouvelle base, la CGT obtient de très beaux résultats. La crise interne à la Confédération avec l’affaire Lepaon ou l’absence d’un camarade en charge de la syndicalisation, ne justifient pas à eux seuls cette érosion. Je reconnais néanmoins que nous subissons beaucoup de rétention dans le règlement des cotisations de nos syndiqués rattachés aux unions locales ou dans les syndicats multipro. (…)

Examinons maintenant notre situation financière. Le seul critère qui permet de juger de l’amélioration de la situation, c’est l’évolution du poste « cotisations syndicales ». La situation des finances sera saine lorsque ce poste constituera la principale ressource du budget fédéral. Or, c’est très loin d’être le cas ! Les cotisations syndicales ne comptent que pour 21 % dans notre budget. Nous compensons donc cette difficulté par des ressources extérieures. Le problème, c’est que ces ressources extérieures ne sont pas extensibles et pas stables. Bref, nous jonglons en permanence, même si personne ne s’en aperçoit. Le rapprochement avorté avec la fédération des verres et céramiques n’était pas non plus innocent. Au-delà du projet politique visant à peser plus fortement dans la CGT, il y avait aussi la volonté d’apporter des solutions à l’épineuse question des finances. Certes, tout cela fait partie de ma responsabilité, mais il est aussi de ma responsabilité de vous dire que c’est collectivement que nous avancerons régulièrement, en sensibilisant le congrès sur l’impérieuse nécessité de faire plus de syndiqués !

Pour terminer, abordons la question de notre direction fédérale. Une nouvelle génération de dirigeants est en place. Nous allons faire rentrer dans notre commission exécutive de nouveaux militants, sans bousculer toutefois l’équilibre global, et commencer à préparer l’avenir en travaillant à la construction d’une nouvelle direction pour la fédération !