3 questions à Maurad Rabhi, ancien secrétaire général de la fédération

Publié le 28/11/2023
 

Tu as été élu secrétaire général de 2003 à 2023, comment as-tu vécu toutes ces années à la direction fédérale ?

MR : On ne sort pas de la fédération comme on y est entré. Tout d’abord, la CGT est une formidable école de la vie qui m’a permis de m’émanciper tout au long de ces 20 dernières années. On apprend tous les jours et de tout le monde ! On rencontre souvent de belles personnes avec des parcours très différents.
Quand je suis arrivé, la crise battait son plein dans nos secteurs d’activités au point que bous perdions 1500 à 2000 emplois tous les mois. Cela a duré pendant une bonne décennie. Évidemment, j’ai été fortement marqué par toutes ces fermetures d’entreprise. Heureusement, j’étais entouré par des camarades solides et une direction fédérale expérimentée. Christian Larose, mon prédécesseur, m’a été de bon conseil et guidé les premières années afin que je prenne mes fonctions dans les meilleures conditions. Les restructurations d’entreprises, les plans sociaux et les luttes qui les ont accompagnés ont jalonné mon parcours et constitué le socle de la formation. Le plus difficile pour moi aura été de voir des camarades qui m’ont entouré se faire broyer eux même par la fermeture de leur entreprise.
On ne reste pas de marbre face à de telles situations. J’ai dû constamment m’adapter en fonction des évènements, comprendre les stratégies des entreprises, travailler en équipe avec nos délégués, lire les rapports des experts ou des avocats avant de ferrailler avec les directions d’entreprises. C’est beaucoup de travail, de lecture, de patience, d’échange, d’écoute et d’humilité pour embrasser correctement la fonction.

En quoi consiste le travail d’une fédération syndicale ?

MR : Il appartient à la fédération de construire avec les syndicats de ses champs professionnels une orientation revendicative validée en congrès fédéral dans un document d’orientation ou dans des résolutions. La fédération doit ensuite porter les revendications dans ses syndicats, dans le débat public, dans les ministères et dans les chambres patronales.
A titre d’exemple, notre fédération avait proposé face aux restructurations et aux fermetures d’entreprises dans les années 2000 une loi anti-délocalisation qu’elle a fait connaitre à tous les parlementaires. C’est notre fédération qui a conceptualisé au sein de la CGT l’idée d’une sécurité sociale professionnelle pour mieux protéger les travailleurs et les droits acquis au cours de leur carrière.
Nous avons aussi été pour la CGT la première branche professionnelle à signer un accord sur la réduction du temps de travail pour préserver nos emplois. Dans les années 2010, nos revendications se sont davantage tournées vers la traçabilité de nos productions, l’encadrement des aides publiques, l’attribution des marchés publics ou encore une taxe ( transport ou carbone ) sur les productions extra européennes.
Notre fédération participe à toutes les négociations de branches où l’on discute des minima conventionnels, des classifications, de la formation, de la prévoyance, des activités partielles longues durées, etc. C’est au niveau de la branche que nous négocions le contenu de nos conventions collectives, concernant par exemple le travail de nuit, les indemnités de licenciement, la mise à la retraite, etc.
Enfin, la fédération se doit d’organiser, de suivre et de conseiller les syndicats avec les outils dont elle s’est dotée comme son journal et son site fédéral, et naturellement par sa présence sur le terrain.

Comment vois-tu l’évolution de la fédération dans l’avenir et après les ordonnances Macron ?

MR : La fédération s’est déjà réorganisée à plusieurs reprises, mais nos champs professionnels doivent encore évoluer. Soyons honnêtes, nous sommes trop petits pour peser et négocier des droits à la hauteur des moyens d’une branche d’un million de salariés. Nous devons donc nous regrouper pour être plus forts. Mes prédécesseurs avaient en 1985 fusionné les fédérations CGT du textile, de l’habillement et de la chaussure dans une seule fédération THC. Nous avons rattaché à nos secteurs les blanchisseries au congrès de Bourgoin-Jailleu en 2014 et nous sommes devenus THCB.
Nous avons tenté au cours de mes mandats, au vu de l’évolution de nos métiers, de nous rapprocher d’abord de la fédération du commerce et des services, puis ensuite de la fédération des verres et céramiques. Les deux avaient du sens. Nous avons échoué dans les deux cas, car fusionner avec les fédérations d’autres champs professionnels ne se fait pas aussi facilement. Mais nos métiers sont pour l’essentiel des métiers de l’industrie. Dans l’avenir il faudra persévérer pour donner du sens à un secteur professionnel plus conséquent. Je pense à tous les métiers autour du luxe, comme par exemple la maroquinerie, le textile, l'habillement, la couture, la céramique, la joaillerie, les arts de table, la sellerie. Nous devons réfléchir pour élargir nos champs professionnels.
Les ordonnances Macron (loi travail) ont favorisé une certaine atrophie de la négociation de branche. Mais les syndicats doivent pousser les employeurs à prendre leurs responsabilités et les engager dans la négociation sur des thèmes comme la prévoyance, la formation, l’organisation du travail, les conditions de travail, la pénibilité pour encadrer les choses à minima. Sinon la compétitivité des entreprises se fera sur le moins-disant social comme dans les pays à bas coût de main-d’œuvre plutôt que sur l’innovation.
 
La fédération doit aussi aider les syndicats en faisant évoluer ses outils avec le souci de les mettre à la disposition du plus grand nombre : site, plateforme numérique, blocs de communication, réseaux sociaux, calculateur, etc. Il nous appartient d’être inventifs pour être toujours plus performants.

Source  : Journal du THCB novembre 2023


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