1831 : la révolte des Canuts

Le terme de canut désigne, à Lyon, l’ouvrier spécialisé dans la production d’étoffes de soie à l’aide d’un métier à bras. Selon certains auteurs, le canut se vit affublé de ce sobriquet par la population bourgeoise de Lyon en référence à la « canne », pièce du métier à bras qu’il utilisait; on peut également supposer une référence aux « canettes » de fils de soie qu’il manipulait.

Selon d’autres sources, il s’agirait en fait d’une condensation de l’expression « Voici les cannes nues ! » : au cours de la Révolution française, les ouvriers en soie se retrouvèrent dans la misère et durent vendre les breloques en or et en argent de leurs cannes de compagnonnage. A leur passage, on disait alors: « Voici les cannes nues! .

On lit également que canut viendrait effectivement de « canne nue », mais par opposition aux rubaniers, qui portaient à leur canne un ruban de velours. Les Canuts ce sont les travailleurs spécialisés dans le tissage de la soie à Lyon.

Le 21 novembre 1831, la révolte des Canuts éclatait à Lyon

Le 21 novembre 1831, la révolte des Canuts éclatait à Lyon et cette révolte allait à jamais entrer dans l’Histoire de la classe ouvrière française et du mouvement ouvrier international. Ce fut la première révolte ouvrière dans notre pays. En effet, pour la première fois, les ouvriers se battaient seuls pour leurs propres revendications, contre leurs propres exploiteurs. C’était là l’élément décisif qui ouvrait une phase nouvelle dans l’Histoire du mouvement ouvrier français.

Du travail ou du pain

A cette époque, la misère lançait les ouvriers dans les grèves, la révolte et même l’insurrection. En 1830 à Lyon, un ouvrier ne gagnait pas le tiers de ce qu’il gagnait en 1810, ni la moitié de ce qu’il gagnait en 1824. Les tarifs aux pièces étaient sans cesse remis en cause. Au nom de la concurrence (déjà !), les fabricants imposaient des prix de façon toujours en baisse. Les journées de travail s’allongeaient jusqu’à 15 et 18 heures et les conditions de travail étaient épuisantes, inhumaines. La modernisation qui permettait des progrès importants de la productivité se traduisait par un chômage croissant, ajoutant encore à la misère des ouvriers.

Aussi, dès le début de 1831, les Canuts apposaient des affiches appelant à l’action et le 19 janvier, des rassemblements se formaient au cri de : « DU TRAVAIL OU DU PAIN ». C’est dans ces conditions qu’une idée devait devenir dominante par les Canuts lyonnais, celle d’arracher la fixation d’un tarif au-dessous duquel les fabricants ne pourraient descendre. Ce tarif apparaissait aux Canuts comme le salut suprême.

Entre mai et septembre 1831, l’agitation était continuelle et après bien des péripéties, marquées notamment par une manifestation imposante des Canuts vers la place Bellecour et la préfecture où se déroulaient les négociations, le tarif était fixé le 25 octobre dans la soirée, véritable préfiguration des actuelles conventions collectives. Ce fut une nuit de fête. On dansait et on chantait dans les rues des quartiers ouvriers.

Mais certains fabricants ne s’avouaient pas battus et le gouvernement, à leur demande, remit en cause le tarif. L’effervescence grandit alors à nouveau très vite. Les ouvriers furent appelés à se rassembler.

Vivre en travaillant ou mourir en combattant

Le 20 novembre, l’arrêt des métiers était décidé pour le lendemain. Le 21 à l’aube, pour défendre le tarif, les Canuts étaient en grève. Ils désertaient les ateliers et commençaient leur marche vers les quartiers du centre. Les grenadiers de la garde nationale ayant tiré et tué plusieurs ouvriers, ce fut la révolte et l’insurrection. La fameuse inscription : « VIVRE EN TRAVAILLANT OU MOURIR EN COMBATTANT » apparut sur le drapeau noir des Canuts. Au préfet qui tentait de les haranguer, les ouvriers répliquaient : « DU TRAVAIL OU LA MORT ! NOUS AIMONS MIEUX PÉRIR D’UNE BALLE QUE DE FAIM ».

En trois jours (les « trois glorieuses du prolétariat lyonnais »), les Canuts, avec l’aide des travailleurs des autres professions, s’emparaient de Lyon et occupaient l’Hôtel de Ville. Mais cette victoire devait fatalement être une victoire sans lendemain. L’insurrection avait été le résultat d’un sursaut de colère, elle avait éclaté sans but précis, il manquait aux Canuts une organisation et une théorie révolutionnaire.

Dans la journée du 3 décembre, trente mille hommes de troupe entraient dans Lyon, dirigés par le Maréchal Soult, Ministre de la Guerre. Ce dernier faisait de nouveau régner l’ordre à Lyon pour permettre le retour à la vie normale, c’est-à-dire le rétablissement de la domination bourgeoise sur les travailleurs un moment révoltés. Dans une de ses décisions essentielles, Soult déclarait « Nuls et non avenus » les textes publiés relatifs au tarif.

L’insurrection des Canuts était vaincue. Elle avait révélé à la fois la puissance et la faiblesse de la classe ouvrière. Mais il faudrait désormais compter avec l’existence et la combativité de cette classe ouvrière. C’est ce qui se vérifia dans les années qui suivirent et pas seulement à Lyon.

Depuis, la classe ouvrière a su conquérir des droits, se doter avec la CGT, d’une organisation syndicale de classe et de masse, arracher de multiples avantages pour améliorer ses conditions de vie et de travail.

 

La chanson des Canuts : Les Canuts (Aristide Bruant – 1894)

Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or
Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or
Nous en tissons pour vous, Grands de l’Eglise,
Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemises !

C’est nous les canuts, Nous allons tous nus ! (refrain)

Pour gouverner, il faut avoir Manteau et rubans en sautoir
Pour gouverner, il faut avoir Manteau et rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous, Grands de la Terre,
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre !

Refrain C’est nous les canuts, Nous allons tous nus ! (refrain)

Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira.
Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira.
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde !

C’est nous les canuts, Nous n’irons plus nus ! (refrain)